26/03/2010

ERWITT - BORDAS: LIENS UTILES

ERWITT

Sur Erwitt:
    1. Site officiel d'Erwitt: http://www.elliotterwitt.com/lang/fr/index.html
    2. Wikipédia sur Elliot Erwitt en anglais : http://en.wikipedia.org/wiki/Elliott_Erwitt
    3. Portfolio de l'agence Magnum : http://www.magnumphotos.com/Archive/C.aspx?VP3=ViewBox_VPage&ALofALID=29YL53IRYAK&CT=Album&IT=ThumbAlbum01_VForm
    1. Interview relative à l'exposition à la MEP : http://www.france-info.com/chroniques-sortir-ecouter-voir-2010-02-04-elliott-erwitt-un-oeil-espiegle-retrospective-a-paris-400481-81-118.html
    2. Interview vidéo à propos d'Erwitt : http://www.youtube.com/watch?v=wh5p5Sx5qZg

    Sur Bordas:

    1. Philippe Bordas, L’invention de l’écriture, Fayard
    2. Reportage vidéo intéressant : http://www.tv5.org/TV5Site/webtv/video-7349-Exposition_L_Afrique_heroique_photographie_par_Phi.htm
    3. Le site de la bd Le photographe : http://lephotographe.dupuis.com/
    4. A propos du lien photo/texte :
    Arrouye Jean (dir.), La photographie au pied de la lettre, Presses universitaires de Provence.
    Grojnowski Daniel, Photographie et langage, Corti, 2002.
    Hamon Philippe, Imagerie, Corti, 2001.
    Louvel Liliane, Texte/Image, et Textes/images nouveaux problèmes, Presses universitaires de Rennes.
    Méaux, Danièle (dir.), Photographie et romanesque, Etudes romanesques n°10, Lettres Mod Minard.
    Ortel, Philippe, La littérature à l’ère de la photographie, enquête sur une révolution invisible, Chambon.
    Schaeffer Jean-Marie, L'image précaire (Paris, Le Seuil, 1987).
    Thélot Jérôme, Les inventions littéraires de la photographie, PUF, 2004.

    ELLIOT ERWITT - 18/III/10 @ LA MEP

    ERWITT

    Elliot Erwitt est né à Paris en 1928 de parents russes avant de partir vivre aux Etats-Unis, à New-York puis à Los Angeles. Homme cosmopolite et membre de l'agence Magnum, son travail de photographe qui court sur plus d'un demi-siècle est absolument inclassable, tant ses photos varient, aussi bien au niveau des thèmes, des sujets, de la composition ou des lieux.

    La rétrospective qui lui est consacrée à la MEP s'intéresse à son travail personnel, hors des photos réalisées pour des commandes commerciales. Ce Personal best (meilleur de moi-même) rassemble les coups de coeurs de l'artiste au sein de son oeuvre. C'est en effet Elliot Erwitt lui-même qui a choisi les clichés exposés.

    Si l'exposition consacrée à Philippe Bordas jouit d'une lumière et d'une scénographie exceptionnelle, ce n'est pas le cas pour celle d'Elliot Erwitt. L'éclairage, mal agencé, permet bien souvent au visiteur de contempler son reflet dans les cadres en verres recouvrant les photos. Dommage. On ne peut pas parler non plus de scénographie particulière, les tirages paraissent disposées au hasard, sans souci de sérialité ni de chronologie. Mais peu importe, ce best-of du travail d'amateur d'EE (au sens noble du mot "amateur" - aimer en latin -, comme il le dit lui-même, ce qui implique qu'il ne photographie que ce qu'il aime d'où cette certaine légèreté inhérente à son travail) recèle de clichés exceptionnels.

    Comme Lisette Model, le Personal best d'EE s'inscrit donc (pour la majeur partie) dans le courant de la street photography. Mais leurs sujets de prédilection diffèrent. Là où LM avait une attirance prononcée pour le laid, les gros, la difformité, l'a-normalité et montrait (même sans volonté de dénonciation) une réalité sociale difficile, EE préfère capturer les instants éphémères d'humour et de poésie qui surgissent dans les rues.

    En effet, si ses thèmes varient, on remarque néanmoins un certain humour persistant. Observateur vif et espiègle du quotidien, EE capture des moments de drôlerie discrète, presque poétique en jouant sur les perspectives, les niveaux de plans. Ainsi, sur une photographie prise à Barcelone, sur une photo de tramway, deux réalités s'affrontent ; Un couple souriant à l'objectif, assis à l'arrière du véhicule, surplombe sans le savoir un passager clandestin d'une dizaine d'années.

    EE est féru de ces petits jeux photographiques qui interrogent la notion de point de vue, autant celui du spectateur que celui du photographe. Il y a dans ses photos un soin particulier apporté à la composition afin de transformer le réel. Grâce à son sens aigu du décalage, les photos d'EE interpellent, provoquent un malaise ou un éclat de rire. On peut ainsi voir une femme qui semble avoir une tête de chien, une petite voiture supporter une statue de plusieurs mètres ou encore un enfant souriant derrière une vitre avec un impact de balle de revolver à la place de l'oeil.

    "Certaines personnes disent que mes photos sont tristes, d’autres les trouvent drôles. Drôlerie et tristesse, c’est un peu la même chose, non ?" Comme le suggère cette citation de EE, quelque soit la réaction du public face à son travail, une émotion est transmise.

    15/03/2010

    PHILIPPE BORDAS - 18/III/10 @ MEP

    AVEDON / BORDAS

    Philippe Bordas est un jeune photographe. Si l’on voit ici des photoreportages, il est également reconnu pour son travail de chroniqueur sportif et comme photographe de concert et d’artistes (Mc Solaar !) La série présentée ici regroupe une partie des travaux de son livre L’Afrique à poings nus, qui rassemble ses thèmes de prédilection : l’univers des boxeurs au Kenya et celui des lutteurs au Sénégal, son reportage sur Bruly Bouabré et d’autres photographies d’Afrique. Il a également écrit un livre : Forcenés.
    -> Photographies qui racontent une histoire ? Propre du photoreportage justement : il y a un message plus clair que dans la photo d’art. D’où le fait qu’il soit aussi écrivain ? Ligne narrative ds ses photos ? Poussé à l’extrême, cela donne Sophie Calle. Paradigme de Lessing qui oppose arts du temps et arts de l’espace. Jeu de bd/photo de Didier Lefèvre et Emmanuel Guibert. Scénographie magnifique : longs nuages sirupeux, grand nombre de photographies en noir et blanc dans la salle du bas. Idem pour la salle de Bouabré. Sombre et des photographies très colorées. Peut-être un peu trop dense par moments…

    Expo tripartite :


    - En 1993, il rencontre l’artiste écrivain Frédéric Bruly Bouabré dont il célèbre le parcours poétique dans L’invention de l’écriture (Fayard, 2010). Certaines ne sont pas belles mais disent qqch ? Importance de la « révolution mentale » d’hommes à part…Il y a une possibilité quand on est opprimé de se rebeller politiquement, par les armes. Il y a aussi une façon plus discrète, beaucoup plus violente, dans le cas d’un jeune africain qui fuit le travail forcé dans les années 1930, c’est d’absorber en autodidacte, en élève brillant, tout le savoir des blancs et de décider un jour sous le coup d’une révélation mystique comme cela arrive souvent en Afrique d’inventer une écriture authentique. Cf. Kateb Yacine, Nedjma : invente une langue pour dire le monde de l’Algérie décolonisée. -> Rapport à la culture particulier : « Il n’est pas question de sport. Il n’y a pas de vainqueur. Il n’y a pas de vaincu. Il n’est question que du rituel des hommes désignés à combattre. » -> Finalement l’alphabet c’est la mm chose que la photo : garder la preuve de ce qui a existé. D’autant plus que B.B est mort.

    - De 1994 à 1999, il pénètre le monde fermé des lutteurs du Sénégal et des boxeurs du Kenya (bidonville Mathare Valley, le plus gd du monde). Les destins croisés des boxeurs et des lutteurs constituent la trame du livre texte et photos L’Afrique à poings nus (Seuil, 2004. Prix Nadar), premier volet d’une trilogie éditoriale en cours. Loin des clichés éculés de la savane : « Sur ces no man’s lands anéantis par la mondialisation, torréfiés par le FMI, s’entassent les paysans pervertis au jeu néfaste des cours du thé et de l’arachide. Et ces paysans, par les protocoles violents de la boxe et de la lutte à poings nus, deviennent les champions. Ils deviennent les héros. C’est tout ce que j’ai vu. » Force expressive des visages, parfois portraits à la Avedon, facial, violent, brut !


    - Début 2001, à Bamako, Philippe Bordas découvre l’armée ressuscitée des chasseurs, venus de tout l’Ouest africain, qui ne s’étaient pas retrouvés depuis près de sept siècles. Il va suivre leurs pérégrinations pendant sept années. Ce sont les descendants de l’empire démocratique de Soundjata Keïta (1190-1255). Les chasseurs ignorent les frontières nées de la colonisation et vivent sur la presque totalité de l’Afrique de l’Ouest, sur les actuels Mali, Sénégal, Gambie Guinée, Guinée Bissau, Mauritanie et sur une partie de la Côte d’Ivoire. C’est le moment de rassemblement dans la nuit, de rassemblement de la mémoire ->Importance de la photo mémoire : revenir sur lieux où il a rencontré des gens, garder la trace, cf. Sophie Ristelhueber « Irak 2001 » ou « Monumenta » de Boltanski : extrait photo de « Personnes », une espèce de memento mori contemporain, une vanité monumentale, qui renvoie à l'inéluctabilité de la mort et à la fragilité de l'homme face à sa fin.. Professionnels de la trace…Souvenir !

    22/02/2010

    LISETTE MODEL - LIENS UTILES


    Les photographes et artistes évoqués:
    - http://en.wikipedia.org/wiki/Garry_Winogrand

    - http://fr.wikipedia.org/wiki/Andr%C3%A9_Lhote
    - http://fr.wikipedia.org/wiki/George_Hoyningen-Huene

    - http://fr.wikipedia.org/wiki/Berenice_Abbott
    - http://fr.wikipedia.org/wiki/Andr%C3%A9_Kertesz

    - Sur la street photography, Jean-Pierre Bucciol :
    http://www.vide.memoire.free.fr/photo/textes/street/street.php

    http://en.wikipedia.org/wiki/Street_photography
    - Sur la straight photography (le retour):
    http://www.photophiles.com/index.php/les-articles-archives/histoire/1120-straight-photography.html
    - Idem : Bystander: A History of Street Photography, de Colin Westerbeck et Joel Meyerowitz

    - Vidéo de Gary Winogrand sur la photo de rue :
    http://2point8.whileseated.org/2007/03/23/garry-winogrand-with-bill-moyers/

    - Sur le droit à l’image (loi Guigou en Fr) : http://www.photographie.com/?pubid=100473

    - Un livre fort à propos : Lisette Model par Sam Stourdzé.
    - Téléphoto is for cowards:
    http://www.prime-junta.net/pont/Pontification/n_Telephoto_Is_For_Wimps/a_Telephoto_Is_For_Cowards.html

    - Un lien d'un extrait du film de Jean Vigo sur Nice, contrepoint amusant:
    http://www.youtube.com/watch?v=mAY5KNSoS2o&feature=related

    - Pr aller plus loin, je vous recommande le colloque suivant : « L’héritage de Lisette Model et de la Street Photography » au Jeu de Paume le 13 mars à 14h30

    LISETTE MODEL & LA STREET PHOTOGRAPHY


    Lisette Model est venue tard à la photographie, par nécessité. Alors qu'un accident lui interdisait la pratique du chant, elle voulut travailler dans un laboratoire. Mais pour apprendre à développer des photos, il fallait en faire. Alors elle prit son appareil et photographia les riches promeneurs de la promenade des anglais à Nice.

    Dès cette première série - qui deviendra une de ses plus célèbres - LM, inconsciemment, s'inscrit dans le courant de la street photography.

    Pour comprendre ce mouvement, on ne peut se limiter à sa dénomination. La street photography désigne une photographie de personnes, d'hommes, de femmes, d'enfants, dans la rue ou dans les espaces publiques de la ville. Ainsi, une photo prise dans le métro ou même dans un appartement peut s'y apparenter. Car ce qui compte, ce n'est pas réellement de photographier une personne (on confond souvent la street photography et la photographie humaniste qui insiste davantage sur le côté humain de la scène représentée) mais de saisir un instant, de fixer dans le temps une scène du quotidien, un "moment décisif".

    Ainsi, il s'agit d'insister sur un détail humoristique, adopter un regard ironique sur un petit fait de la vie urbaine mais aussi montrer le côté sinistre de la cité et pencher vers la critique sociale.

    Dans les séries exposées au jeu de paume, on retrouve ces deux aspects. Parfois drôles ou cruelles, parfois caustiques et révoltantes, ses photographies glanées au hasard des rues de Paris à New York possèdent surtout une force incroyable qui réside dans une absence totale de peur ou de rejet vis à vis du sujet. Des photos brutes, sans retouches (si ce n'est toujours un léger recadrage), sans jugements, sans fard, simplement vraies.

    L'oeuvre de Garry Winogrand, autre grand nom de ce courant, offre un parallèle à celle de LM. Si elle a passé la majeure partie de sa vie à photographier dans la rue, lui en a fait un principe. Dans ses photos, l'absence d'artifice, la neutralité de l'émotion, le rejet de tout formalisme, de toute esthétique à priori permettent au spectateur une liberté d'interprétation. En effet, dans son travail, G.W suivait la formule de LM : Il photographiait avec ses tripes.

    LISETTE MODEL @ JDP 23/II/10


    Il est intéressant de remarquer la filiation qui existe entre Lisette Model et certains de ses élèves. L'une de celles-ci fut Diane Arbus, photographe finalement presque plus connue que son mentor. Toutes deux peuvent être rapprochées par des choix esthétiques bien sur: les close-up, leurs photographies non sentimentales et sans retouches, montrant la vanité, l'insécurité et la solitude. Elles travaillent également sur les milieux sociaux en marge au moment où Model est invitée à enseigner à NY avec Berenice Abbott. Toutes deux firent partie du mouvement de photographes qui gravitaient autour du Harper's Bazaar (directeurs: Carmel Snow et Alexey Brodovitch), la photographie de mode, que Lisette Model a en partie renouvelée par son originalité.

    Un autre sujet les lie et a porté à controverse pendant ce café-photo: l'ironie ou l'absence d'ironie de ces photos... comme de celles de D. Arbus.
    Peut-on parler d'un humour de ces photographies, et notamment de celles de la promenade des Anglais, de celles prises dans les restaurants et les bars?
    Il est évident que la street photography est souvent ironique ! Ceci tient de fait à cette distance par rapport au sujet qui existe toujours... Mais comment lire cette phrase de Model, qu'elle avait coutume de dire à ses élèves: "Photographier avec vos tripes". Doit-on comprendre "soyez expressifs" ou "dénoncez l'ironie voire l'absurdité de ce qui vous entoure"... Pour ma part je plaidais le oui (les photographies du luxe de l'opéra notamment ou des ventes aux enchères) mais mes adversaires se sont vaillamment défendus. Ils considèrent que ce qu'on a pu appeler de l'ironie est un contre-sens pour évoquer l'humanisme et la beauté que L.Model fait et voit transparaître partout. (Même dans le laid?) Baudelaire acquiescerait bien sur. Une chose ne trompe pas: la représentation d'une expressivité, d'une beauté dans la force et la vision "pure" de quelque chose, telle la photographie de la danseuse expressionniste Valeska Gert. Model avait cette volonté indéniable de révéler « l'intérieur des gens » comme elle le dit elle-même, le beau par le vrai. D'où cet effet de miroir de la société, comme dans le mouvement de la straight photography.
    A postériori, je pense que tout dépend de la conception que l'on a du mot ironie... ou humour. Je dirais " le blâme par la louange" : exprimer par l'esthétisme (esthétis-ation) forte, ce qui nous déplait dans une société. Mais Model n'est plus là pour nous donner raison ou tort.

    08/12/2009

    SANDER - LES LIENS UTILES


    August Sander a photographié une troupe d'artistes de cirque (ci-dessus, tiré de cette série). Diane Arbus se place donc dans la lignée de Sander par son travail documentaire sur les gens en marge, thème aujourd'hui exploité par de nombreux photographes...


    * August Sander, Visage d'une époque, avec une introduction d'Afred Döblin (voir photo)
    * Gilles Mora, Walker Evans
    * Exposition à la BNF "Objets dans l'objectif" - l'autonomisation de l'objet en photographie:
    http://expositions.bnf.fr/objets/dossier/03.htm
    * Sur la nouvelle objectivité:
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Nouvelle_Objectivit%C3%A9
    * August Sander - Voir, observer et penser - le livre: introduction de Gabriele Conrath-Scholl, préfacé par Agnès Sire
    Éditions : Schirmer / Mosel (2009)
    * Petite histoire de la photographie, Walter Benjamin
    * Olivier Lugon, Le «style documentaire» d’August Sander à Walker Evans 1920-1945
    * http://photonumerique.codedrops.net/
    * café-photo Robert Frank / Walker Evans
    * café-photo Palestine / les Becher !

    01/12/2009

    AUGUST SANDER - WALKER EVANS


    La comparaison se fait d'office puisqu'on sait que Walker Evans et August Sander ont travaillé tous deux sur une exposition commune. En 1956, le MOMA (Museum of Modern Art) propose aux deux artistes une exposition collective avec Paul Strand et Manuel Alvarez Bravo.

    La technique du portrait en chambre est peut-être ce qui les rapproche le plus, par ce jeu du regard frontal qu'il permet de présenter, par la netteté et le grain qu'il met en lumière... Comme David Octavius Hill, Sander insistait sur la participation du sujet qui rendrait la photographie plus dynamique, moins posée. De fait Waker Evans parlait "d'arrangements inconscients". Olivier Lugon (historien) rappelle que le modèle "gagne en dignité" lorsqu'il lui est permis de se défendre contre l'objectif. Et c'est d'ailleurs ce qui fait toute l'intensité des photographies (voir le face à face ci-dessus!) Les cadrages sont donc assez classiques, la profondeur de champ plutôt courte, le sujet se détachant assez nettement du fond uni. Ce sujet est, dans la plupart des cas, présenté comme un symbole d'une époque ("boucher", "artiste", "écrivain"), d'une classe sociale...

    AUGUST SANDER @ FONDATION HCB


    Au moment même où sort Le Ruban blanc de M. Hanecke, la Fondation Henri Cartier-Bresson nous fait l'honneur d'une exposition sur ce photographe allemand illustre qu'est August Sander. Portraitiste scrupuleux de la République de Weimar, il n'hésite pas à dire: « Rien ne m’est plus odieux que la photographie saupoudrée de sucre avec des minauderies, des poses et des effets »!!! Et en effet, une certaine rigidité transparaît comme dans le film d'Hanecke, cinéaste que l'on dit spécialiste de la violence mais d'une violence contenue, toute en finesse. C'est plutôt une forme de malaise qui nous saisit à la peinture d'une société qui semble enserrée dans un carcan familial dans Le Ruban blanc.

    Fils de mineur, August Sander est issu du milieu populaire. Il fut d'abord assistant photographe dans une société d'exploitation minière puis à son compte dans un studio photo. C'est seulement dans les années 1920 qu'il se trouve au contact d'artistes progressistes de Cologne, tels que Seuwert et Hoerle ou Otto Dix (voir Skull), artistes qu'il n'hésitera pas à photographier dans Menschen des 20. Jahrhunderts (Hommes du 20e siècle), une forme de fresque mosaïque de la société de son temps. Suzanne Lange (la conservatrice de la collection à Cologne) parle de cette oeuvre en insistant sur son caractère archétypal, établissant une classification ("le paysan", "l'artisan", "la femme", etc...). Malgré tout, cette grande variété qui nous fait penser au travail d'un Zola dans les Rougon-Macquart est disparate. Entre oeuvre de commande et oeuvre artistique personnelle, on s'interroge parfois sur le tri fait par la fondation HCB (photographies botaniques / paysages de vacances / portrait) et sur leur présentation dans cette même exposition... la démarche étant totalement différente (choix délibéré artistique / commande...?)

    Le travail de Sander fait néanmoins écho à la toile de fond historique: au climat d’affrontement gauche/droite en Allemagne. De fait, cette fresque nous présente la société comme un
    "catalogue qui va de la droite à la gauche" écrit S. Lange. C'est donc bien un projet de type socio-historique et c'est peut-être ce qui fait son intérêt aujourd'hui, comme par l'ébauche d'une typologie humaine, une cartographie de la société allemande du premier XXe siècle. Le fait que le photographie ait plaidé pour l'ajout des dates en légende des photographies va dans ce sens. Quel meilleur moyen, en effet, pour fixer le réel et l'histoire?

    Olivier Lugon (historien d'art) nous rappelle que l'oeuvre de Sander doit se lire dans le contexte de son époque, et plus particulièrement d'un mouvement artistique et culturel: la Nouvelle Objectivité. J'ai précédemment évoque le sujet mais j'y reviens car ce mouvement a influencé toute une génération d'artistes. La N.O n'est pas véritablement un groupe organisé mais plutôt un ensemble indistinct regroupé autour d'un projet d'exposition, exposition à laquelle Sander prit part. La particularité du mouvement tient dans son rejet des expérimentations radicales des modernistes, de l'expressionnisme allemand, du cubisme de la Nouvelle Vision (mouvement d'affirmation de l'art purement visuel, du réel présenté de façon inédite, des cadrages "novateurs"). Olivier Lugon fait également référence à Renger-Patzsch comme une source potentielle d'inspiration pour Sander et en effet, son catalogue du monde naturel sert peut-être de précédent au style frontal de Sander en photographie ou à ses photographies botaniques.

    L'aspect novateur de ce type de photographie tient à cette volonté de redonner une lisibilité au monde, de représenter le réel, comme une amorce de style documentaire qui a depuis acquis ses lettres de noblesse et semble omniprésent dès le milieu du XXe. Le tournant réside peut-être dans le second opus de Sander: Antlitz der Zeit (Le Visage de ce temps), une série de 60 portraits conçus définitivement comme documentaire qui nous évoquent ceux de David Octavius Hill (voir photo). Un premier moyen de thésauriser le réel, dans une société qui efface les traces de l'homme et de sa culture: on sait que le nazisme a joué un rôle essentiel pour Sander puisque son fils, membre du parti socialiste, fut arrêté et condamné à la prison mais que ses photographies furent également détruites. La photographie et plus particulièrement le documentaire, c'est peut-être alors ce qui laisse une trace, d'où cette citation de Sander: "En photographie, il n'ya pas d'ombre qui ne puisse être illuminée". Le propre de cet art mécanique c'est de mettre à jour et ainsi d'élucider (lux: la lumière), d'éviter qu'une société entière et son visage tombe dans l'ombre peut-être... et c'est également la mission de tout documentaire? (le mot documentaliste n'apparut cependant en France qu'en 1932) ...

    13/11/2009

    " LA PALESTINE " - WORK IN PROGRESS / BECHER - BATNIJI


    La série de Taysir Batniji "Miradors" est intéressante à bien des égards. Cet artiste, né à Gaza, vit aujourd'hui à Paris, ce qui nous permet de comprendre l'influence que constituent les photographes européens sur son travail. Ici la série est en noir et blanc et reprend en apparence littéralement celle des Allemands Bernd et Hilla Becher, qui avaient répertorié les bâtiments industriels (châteaux d’eau, usines, hauts-fourneaux), lors de la révolution industrielle. De son côté, il a recensé les installations militaires israéliennes. Ces deux travaux s'orientent vers le documentaire... mais sont-ils totalement assimilables?

    Pourtant, la comparaison avec les travaux des Becher permet de nuancer. Contrairement à ces choix photographiques et esthétiques précis, mesurés que furent leurs photographies, Batniji est soumis à des impératifs. Bien sur il y a toujours choix, le moment où il appuie sur le déclencheur est révélateur, néanmoins il explique lui-même le danger couru, ce qui explique des cadrages plus "aléatoires" que ceux des Becher peut-être? Le but du travail est également fort différent. Chez les Becher, on a pu mettre en lumière une volonté d'objectivité qui explique ce choix d'une même lumière neutre (ciel couvert), chaque photographie étant composée de manière identique (angle de vue et cadrage). Dans l'autre cas, pour "Miradors", le but est un l'art-mémorial, orienté vers le futur, pour contrer le temps qui fuit? Et peut-être protestataire...

    Autre mémorial, auquel on peut rapprocher la série de Batiniji, celui d'Emily Jacir, ce "work in progress" de l'artiste à qui fut décerné le lion d’or à la Biennale de Venise en 2007. Ici, il a invité Palestiniens et Israéliens dans son studio new-yorkais en 2001 pour y coudre des noms de villages sur une tente de réfugiés. Le nom de l'oeuvre est révélateur: "Mémorial des 418 villages palestiniens qui furent détruits, dépeuplés et occupés par Israël en 1948". Un titre long et lourd, dont les consonnes résonnent, long et lourd cependant volontairement. Le but? Qu'à chaque fois que le titre soit mentionné dans les journaux ou les catalogues des musées, cette longueur insiste de manière incantatoire sur l'importance et l'ampleur des destructions qui ont accompagnées la création de l’Etat d’Israël. Le mémorial se veut ici encore trace et montre une nouvelle fois l'ouverture d'esprit de ces artistes, ouverts à des pratiques novatrices (work in progress amélioré à chaque nouvelle broderie, art participatif...) mais qui restent centrés sur un objectif: le mémorial et l'art protestataire.