13/11/2009

" LA PALESTINE " - WORK IN PROGRESS / BECHER - BATNIJI


La série de Taysir Batniji "Miradors" est intéressante à bien des égards. Cet artiste, né à Gaza, vit aujourd'hui à Paris, ce qui nous permet de comprendre l'influence que constituent les photographes européens sur son travail. Ici la série est en noir et blanc et reprend en apparence littéralement celle des Allemands Bernd et Hilla Becher, qui avaient répertorié les bâtiments industriels (châteaux d’eau, usines, hauts-fourneaux), lors de la révolution industrielle. De son côté, il a recensé les installations militaires israéliennes. Ces deux travaux s'orientent vers le documentaire... mais sont-ils totalement assimilables?

Pourtant, la comparaison avec les travaux des Becher permet de nuancer. Contrairement à ces choix photographiques et esthétiques précis, mesurés que furent leurs photographies, Batniji est soumis à des impératifs. Bien sur il y a toujours choix, le moment où il appuie sur le déclencheur est révélateur, néanmoins il explique lui-même le danger couru, ce qui explique des cadrages plus "aléatoires" que ceux des Becher peut-être? Le but du travail est également fort différent. Chez les Becher, on a pu mettre en lumière une volonté d'objectivité qui explique ce choix d'une même lumière neutre (ciel couvert), chaque photographie étant composée de manière identique (angle de vue et cadrage). Dans l'autre cas, pour "Miradors", le but est un l'art-mémorial, orienté vers le futur, pour contrer le temps qui fuit? Et peut-être protestataire...

Autre mémorial, auquel on peut rapprocher la série de Batiniji, celui d'Emily Jacir, ce "work in progress" de l'artiste à qui fut décerné le lion d’or à la Biennale de Venise en 2007. Ici, il a invité Palestiniens et Israéliens dans son studio new-yorkais en 2001 pour y coudre des noms de villages sur une tente de réfugiés. Le nom de l'oeuvre est révélateur: "Mémorial des 418 villages palestiniens qui furent détruits, dépeuplés et occupés par Israël en 1948". Un titre long et lourd, dont les consonnes résonnent, long et lourd cependant volontairement. Le but? Qu'à chaque fois que le titre soit mentionné dans les journaux ou les catalogues des musées, cette longueur insiste de manière incantatoire sur l'importance et l'ampleur des destructions qui ont accompagnées la création de l’Etat d’Israël. Le mémorial se veut ici encore trace et montre une nouvelle fois l'ouverture d'esprit de ces artistes, ouverts à des pratiques novatrices (work in progress amélioré à chaque nouvelle broderie, art participatif...) mais qui restent centrés sur un objectif: le mémorial et l'art protestataire.

" LA PALESTINE " - RANA BISHARA / NAN GOLDIN


On peut lire dans cette installation l'innocence enfantine. En effet, Hommage to Childhood met en scène l'enfant, le lit, les ballons, le jeu en nous plaçant dans une situation fort dérangeante. En réalité, lorsque l’on s’approche, on voit que ces dits ballons contiennent des photos d’enfants (tirées des archives de l'UNRWA, l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens), visages aujourd'hui effacés, de blessés ou de morts. Et lorsqu’on lève la tête, on s’aperçoit que ballons menacés par auréoles de fils barbelés. Comme nous, ils semblent pris entre la douceur des premières années (ou des premières impression) et la dure réalité (ou le dur réveil). On est pris pas le jeu et en même temps l'action de lancer les ballons en l'air suscite une certaine culpabilité, car que lançons-nous ainsi? Les enfants en l'air? Signe de la légèreté du sujet? Et l'explosion des ballons? Comment l'interpréter? Est-ce la mise à mort des réfugiés par le spectateur? L'explosion évoque la balle, nous plaçant dans la situation des guerriers et non des victimes. C'est donc avec une grande finesse que l'artiste, fort contemporaine par le simple choix de cette démarche, nous place dans une position de jeu ambigu vis à vis de l'oeuvre. Mona Khazindar avance que celle-ci est "un hommage à l’enfance non vécue, perdue". Toutefois, cette interprétation ne prend qu'insuffisamment en compte l'importance de l'installation et de la façon dont les spectateurs sont ici acteurs de l'oeuvre.

Cette installation évoque également peut-être celle de Nan Goldin à Arles, (présentée sur la photographie) Sisters, Saints and Sybils : le jeu du lit comme berceau natal et sa confrontation avec de violentes images défilant au-dessus de celui-ci en un triptyque semble utiliser le même procédé de confrontation de 2 univers antithétiques. Le propos, certes, n'est pas le même, mais il signifie de la même façon. C'est peut-être en cela que tient la modernité de Rana Bishara...

" LA PALESTINE " - LES MURS @ IMA


Le mur de Jérusalem de JR et ses collages / Rula Halawani, The Wall


Rula Halawani, issue de Jérusalem, photographie la construction du Mur de Séparation en 2005. La série est sobrement intitulée The Wall et ses grands clichés noir et blanc, pris de nuit, dessinent une atmosphère cauchemardesque. C'est bien "ce côté monstrueux et effroyable de ce mur", selon la commissaire de l'exposition qu'il est bon, ici, de se remémorer.

Au moment même où l'Europe fête la chute du mur de Berlin, cette série de photographies met en évidence la souffrance issue d'une ou d'autres barrières (Mexique/US par exemple). Ce travail sur la frontière, cette ligne marquée au sol, symbolise peut-être la matière photographique qui impressionne le papier, rappelant ainsi le travail de Sophie Ristelhueber : sa réflexion sur le territoire et son histoire, au travers d’une approche singulière des ruines et traces laissées par les hommes dans les lieux dévastés par la guerre.


Sophie Ristelhueber


Finalement, entre un JR qui dessine les portraits et les traits de cette ville de Jérusalem, par le biais de collages sur les murs et S. Ristelhueber, qui s'attache aux traces comme aux rides d'un visage, l'inscription sur le territoire apparait en creux entre ville, mur et frontière.

" LA PALESTINE " @ IMA 11/11/9


Un lieu commun fait aujourd'hui penser que le monde arabe ne pratique guère les arts plastiques et c'est peut-être contre ce lieu commun que l'Institut du Monde Arabe a décidé de lutter avec cette exposition: "Palestine: la création dans tous ses états"

Certains pontes de la culture n'hésite cependant pas à reconnaître la force de l'expressivité et de la vigueur des artistes palestiniens comme G. Saatchi, le propriétaire de la plus vaste galerie d’art moderne au monde, située à Londres. Celui-ci a en effet exposé de jeunes artistes moyen-orientaux récémment dans "New Art from the Middle East".

Enfin, pour sa 53e édition, la Biennale d’art contemporain de Venise ouvre en 2009 un pavillon palestinien. Pour toutes ces raisons, Jérusalem se fait cette année 2009 capitale de la culture arabe.

Il faut également se rappeler que l'histoire même du monde arabe et du Moyen-Orient est pétrie d’art (cf. ses illustres calligraphes et enlumineurs, miniaturistes, son art de l'icône présenté en 2003 à l'IMA dans "Icônes arabes du Levant".

Les questionnements que soulèvent cette exposition sont multiples:

-> Quelles conséquences tirer de l'influence d'une telle histoire sur l’art actuel en Palestine ? Suit-il sa tradition ? « Pendant 5 siècles, les mythes, les sites imaginaires et l’histoire religieuse de Palestine ont été une importante source d’inspiration pr la tradition picturale d’Europe », écrivait K. Boullata, au début du catalogue exposition à IMA 1997, laissant à penser que celle-ci impregne les artistes comme les oeuvres, volontairement ou non.

Le problème tient à notre inconscient collectif qui voit la Palestine comme synonyme de guerre et d'attentats, de religion et de politique mêlées, thématiques qui font pièce à ce que cette exposition semble présenter. Certes, le questionnement identitaire littéralement vital, mais l'art ne se limite pas à cette thématique. L'exposition pose néanmoins la question suivante:

-> L'art doit-il être vu ici comme une nécéssité? Cela a été précédemment le cas avec un Paul Célan (poète qui écrivit après l'expérience des camps) ? Ceci rejoindrait l'expression de Robert Bresson: « L'art n'est pas un luxe, mais un besoin vital ».

Paul Célan « Todesfuge » : "Lait noir de l’aube nous te buvons la nuit".

-> Comment opérer sinon la transformation du politique en esthétique

Enfin, l’exposition met en scène la différence des sexes, des générations, des techniques. Nous avons remarqué la présence des femmes-artistes, bien représentées ici, ce qui marque une évolution profonde des mentalités et de la société. Globalement, la scénographie dessine une perspective synoptique et fragmentaire, pour une exposition- mosaïque et une esthétique en perpétuel devenir.

Un léger bémol à cette belle exposition: la très (ou trop?) grande variété des oeuvres dont certaines seront occultées dans ce commentaire, pour laisser place à l'analyse des plus marquantes.