01/12/2009

AUGUST SANDER @ FONDATION HCB


Au moment même où sort Le Ruban blanc de M. Hanecke, la Fondation Henri Cartier-Bresson nous fait l'honneur d'une exposition sur ce photographe allemand illustre qu'est August Sander. Portraitiste scrupuleux de la République de Weimar, il n'hésite pas à dire: « Rien ne m’est plus odieux que la photographie saupoudrée de sucre avec des minauderies, des poses et des effets »!!! Et en effet, une certaine rigidité transparaît comme dans le film d'Hanecke, cinéaste que l'on dit spécialiste de la violence mais d'une violence contenue, toute en finesse. C'est plutôt une forme de malaise qui nous saisit à la peinture d'une société qui semble enserrée dans un carcan familial dans Le Ruban blanc.

Fils de mineur, August Sander est issu du milieu populaire. Il fut d'abord assistant photographe dans une société d'exploitation minière puis à son compte dans un studio photo. C'est seulement dans les années 1920 qu'il se trouve au contact d'artistes progressistes de Cologne, tels que Seuwert et Hoerle ou Otto Dix (voir Skull), artistes qu'il n'hésitera pas à photographier dans Menschen des 20. Jahrhunderts (Hommes du 20e siècle), une forme de fresque mosaïque de la société de son temps. Suzanne Lange (la conservatrice de la collection à Cologne) parle de cette oeuvre en insistant sur son caractère archétypal, établissant une classification ("le paysan", "l'artisan", "la femme", etc...). Malgré tout, cette grande variété qui nous fait penser au travail d'un Zola dans les Rougon-Macquart est disparate. Entre oeuvre de commande et oeuvre artistique personnelle, on s'interroge parfois sur le tri fait par la fondation HCB (photographies botaniques / paysages de vacances / portrait) et sur leur présentation dans cette même exposition... la démarche étant totalement différente (choix délibéré artistique / commande...?)

Le travail de Sander fait néanmoins écho à la toile de fond historique: au climat d’affrontement gauche/droite en Allemagne. De fait, cette fresque nous présente la société comme un
"catalogue qui va de la droite à la gauche" écrit S. Lange. C'est donc bien un projet de type socio-historique et c'est peut-être ce qui fait son intérêt aujourd'hui, comme par l'ébauche d'une typologie humaine, une cartographie de la société allemande du premier XXe siècle. Le fait que le photographie ait plaidé pour l'ajout des dates en légende des photographies va dans ce sens. Quel meilleur moyen, en effet, pour fixer le réel et l'histoire?

Olivier Lugon (historien d'art) nous rappelle que l'oeuvre de Sander doit se lire dans le contexte de son époque, et plus particulièrement d'un mouvement artistique et culturel: la Nouvelle Objectivité. J'ai précédemment évoque le sujet mais j'y reviens car ce mouvement a influencé toute une génération d'artistes. La N.O n'est pas véritablement un groupe organisé mais plutôt un ensemble indistinct regroupé autour d'un projet d'exposition, exposition à laquelle Sander prit part. La particularité du mouvement tient dans son rejet des expérimentations radicales des modernistes, de l'expressionnisme allemand, du cubisme de la Nouvelle Vision (mouvement d'affirmation de l'art purement visuel, du réel présenté de façon inédite, des cadrages "novateurs"). Olivier Lugon fait également référence à Renger-Patzsch comme une source potentielle d'inspiration pour Sander et en effet, son catalogue du monde naturel sert peut-être de précédent au style frontal de Sander en photographie ou à ses photographies botaniques.

L'aspect novateur de ce type de photographie tient à cette volonté de redonner une lisibilité au monde, de représenter le réel, comme une amorce de style documentaire qui a depuis acquis ses lettres de noblesse et semble omniprésent dès le milieu du XXe. Le tournant réside peut-être dans le second opus de Sander: Antlitz der Zeit (Le Visage de ce temps), une série de 60 portraits conçus définitivement comme documentaire qui nous évoquent ceux de David Octavius Hill (voir photo). Un premier moyen de thésauriser le réel, dans une société qui efface les traces de l'homme et de sa culture: on sait que le nazisme a joué un rôle essentiel pour Sander puisque son fils, membre du parti socialiste, fut arrêté et condamné à la prison mais que ses photographies furent également détruites. La photographie et plus particulièrement le documentaire, c'est peut-être alors ce qui laisse une trace, d'où cette citation de Sander: "En photographie, il n'ya pas d'ombre qui ne puisse être illuminée". Le propre de cet art mécanique c'est de mettre à jour et ainsi d'élucider (lux: la lumière), d'éviter qu'une société entière et son visage tombe dans l'ombre peut-être... et c'est également la mission de tout documentaire? (le mot documentaliste n'apparut cependant en France qu'en 1932) ...

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